Dans un livre-enquête qui fait déjà grand bruit, la journaliste Émilie Lanez remet en cause l'un des piliers de la littérature française du XXe siècle. Vipère au poing, le roman autobiographique d'Hervé Bazin publié en 1948, dépeignait une mère tyrannique et cruelle, immortalisée sous le nom de Folcoche. Mais selon Lanez, cette figure odieuse n'aurait été qu'une pure invention, un "meurtre littéraire" orchestré par l'auteur pour se venger de sa famille.
En effet, le récit de Bazin, vendu à plus de cinq millions d'exemplaires et traduit dans une trentaine de langues, racontait l'enfance tourmentée de Jean Rezeau, face à une Paule – sa propre mère – décrite comme une ogresse impitoyable. Les frères Rezeau, élevés dans un château angevin, subissaient sévices et avarice. Ce huis clos familial avait propulsé Bazin au rang de classique, lu par des générations d'élèves au collège. De plus, il lui avait valu la présidence de l'Académie Goncourt pendant vingt-trois ans, de 1973 à 1996. Toutefois, Lanez, après avoir fouillé archives familiales et policières, affirme que Paule Guilloteaux, la vraie mère, était tout le contraire : une femme pieuse, généreuse, loin de l'image de truie dévorant ses petits.
Le livre, intitulé Folcoche. Le secret de "Vipère au poing", sorti ce mois-ci, dresse le portrait d'un Bazin bien plus sombre. L'écrivain, né en 1911 à Angers, aurait fabriqué cette légende vengeresse pour masquer ses propres errements : un psychopathe constitutionnel, selon certains, multipliant les mensonges et les impostures. En effet, des documents révèlent qu'il a réécrit son histoire, transformant une éducation stricte mais aimante en cauchemar absolu. De plus, l'enquête pointe des épisodes troubles dans la vie de Bazin, comme ses mariages tumultueux et ses sept enfants, loin de l'image d'auteur tourmenté mais sincère.
Cette révélation arrive à point nommé, alors que Vipère au poing vient d'être adapté en bande dessinée pour la première fois, par Frédéric Rébéna, sortie en avril dernier. Elle bouscule non seulement l'héritage de Bazin, mais interroge le statut du roman personnel. Faut-il croire l'écrivain sur parole, ou la vérité est-elle toujours plus nuancée ?